« USAGES DU MONDE«
Dans une de ses nouvelles intitulée Le Suaire de Véronique, l’écrivain Michel Tournier nous conte l’histoire d’une portraitiste tellement éprise de son modèle qu’à force de le photographier elle l’épuise littéralement jusqu’à sa totale disparition physique.
Cette idée que la photographie, profondément prédatrice, pouvait a chaque prise ôter de la matière à ce qu’elle photographie, j’y pense à chacun de mes voyages en observant ces hordes de touristes (et je ne m’en exclue pas) se prendre en photo sur toile de fond des pays qu’ils visitent et finissent par ne percevoir qu’a travers l’objectif de leur appareil de prise de vue.
Manière de s’approprier, par l’acte photographique, un territoire qui ne leur appartient pas mais dont ils pourront dire en rentrant de vacances : « Voyez, cet été on s’est fait la Grèce, l’an prochain on compte bien se faire l’Italie ».
Le tourisme de masse fait de chacun de nous un conso-mâteur de paysages et le présent ne s’alimente plus aux sources du passé pour s’en enrichir mais pour le vider jusqu’à l’effacement de toute sa substance.
Et si tous ces souvenirs de voyages, trop mal perçus, se dérobaient à leur tour sous nos pas trop pressés pour se révéler n’être que le seul désir de réduire le monde à notre image …